Page:Sand - Le Marquis de Villemer.djvu/63

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sement préoccupé, se remit peu à peu à l’air printanier qui entrait librement par la fenêtre ouverte. Le repas rétablit l’équilibre dans ses facultés, car c’était une nature robuste, incapable de privations, et sa mère, qui avait une certaine prétention d’être alliée à l’ex-famille régnante, disait avec quelque vanité que le duc avait le bel appétit des Bourbons.

Au bout d’une heure, le duc fut charmant avec son frère, c’est-à-dire qu’il fut avec lui, pour la première fois de sa vie, aussi aimable et aussi abandonné qu’il l’était avec tout le monde. Ces deux hommes s’étaient peut-être quelquefois devinés, mais sans jamais se bien comprendre, et à coup sûr ils ne s’étaient jamais interrogés ouvertement. Le marquis y avait mis de la discrétion, le duc de l’indifférence. En ce moment, le duc éprouva véritablement le besoin de connaître l’homme qui venait de sauver son honneur et qui assurait son avenir. Il le questionna avec cet abandon qui n’avait jamais existé entre eux.

— Explique-moi ton bonheur, lui dit-il, car tu es heureux, toi ; du moins je ne t’ai jamais entendu te plaindre.

Le marquis lui fit une réponse qui l’étonna beaucoup. — Je ne peux t’expliquer mon courage, lui dit-il, que par mon dévouement à ma mère et par mon amour pour l’étude, car du bonheur, je n’en ai jamais eu et n’en aurai jamais. Ce n’est peut-être pas là ce qu’il faudrait te dire pour te rattacher à la vie tranquille et retirée ; mais je me ferais un crime de