Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/162

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casions où, comme aujourd’hui, vous daigneriez m’ouvrir votre cœur, ne serais-je pas bien heureux de vous entendre exalter les grandes idées et me verser un saint enthousiasme, au lieu de vous voir dénigrer et refouler mes aspirations avec mépris ?

— Ce ne sont ni les grandes idées que je méprise, ni tes bons désirs que je raille. Ce que je repousse et veux étouffer en toi, ce sont les déclamations, et les forfanteries des nouvelles écoles humanitaires. Je ne puis souffrir qu’on érige en vérités inconnues jusqu’à ce jour des principes aussi vieux que le monde. Je voudrais que tu aimasses le devoir avec un calme inébranlable, et te le voir pratiquer avec le silence stoïque de la vraie conviction. Crois-moi, ce n’est pas d’hier que nous connaissons le bien et le mal, et, pour aimer la justice, je n’ai pas attendu que tu allasses sucer la manne céleste en fumant des cigares sur le pavé de Poitiers.

— Tout cela peut être vrai en général, mon père, dit Émile ranimé par l’ironie obstinée de M. Cardonnet. Il y a de vieux citoyens qui, comme vous, pratiquent la vertu sans ostentation, et il peut y avoir d’impertinents écoliers qui la prêchent sans l’aimer et quasi sans la connaître. Mais ce dernier trait de satire, je ne saurais le prendre pour moi, ni pour mes jeunes amis. Je ne crois pas être autre chose qu’un enfant et ne me pique d’aucune expérience. Au contraire, je viens avec respect et confiance, rempli seulement de bons instincts et de bonnes intentions, vous demander la vérité, le conseil, l’exemple, l’aide et les moyens. Je n’ai pour moi que mes jeunes idées et je vous en fais hommage.

« Révolté des effrayantes contradictions que les lois de la société connaissent et sanctionnent, je vous supplie de me dire comment vous avez pu les accepter sans protestations et rester honnête homme. Je m’avoue faible et igno-