Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/226

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ce qu’on est convenu d’appeler le malheur même. Une certaine fierté m’a toujours empêché, j’en conviens, de chercher un remède dans la sympathie des autres. Il eût fallu que l’amitié fût venue me chercher, je ne savais pas courir après elle.

— Mais, alors, l’eussiez-vous acceptée ?

— Oh ! certainement, dit M. de Boisguilbault toujours d’un ton froid, mais avec un soupir qui pénétra dans le cœur d’Émile.

— Et maintenant, est-ce qu’il est trop tard ? dit le jeune homme avec un profond sentiment de pitié respectueuse.

— Maintenant… il faudrait pouvoir y croire, reprit le marquis, ou oser la demander… et à qui, d’ailleurs ?

— Et pourquoi donc pas à celui qui vous écoute et vous comprend aujourd’hui ? C’est peut-être le premier depuis bien longtemps !

— Il est vrai !

— Eh bien, méprisez-vous ma jeunesse ? Me jugez-vous incapable d’un sentiment sérieux, et craignez-vous de rajeunir en accordant quelque affection à un enfant ?

— Et si j’allais vous vieillir, Émile ?

— Eh bien, comme, de mon côté, j’essaierai de vous faire revenir sur vos pas, ce sera une lutte avantageuse pour tous deux. J’y gagnerai en sagesse, à coup sûr, et peut-être y trouverez-vous quelque allégement à vos austères ennuis. Croyez en moi, monsieur de Boisguilbault : à mon âge, on ne sait pas feindre ; si j’ose vous offrir ma respectueuse amitié, c’est que je me sens capable d’en remplir les devoirs, et d’apprécier les bienfaits de la vôtre. »

M. de Boisguilbault prit encore la main d’Émile et la serra, cette fois, bien franchement, sans rien répondre.

À la clarté de la lune qui montait dans le firmament,