Page:Sand - Le Péché de Monsieur Antoine, Pauline, L’Orco, Calman-Lévy, 18xx, tome 1.djvu/238

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« C’est l’affaire du vieux Antoine de garder sa fille, pensait-il, si l’ivrogne s’endort sur ses propres dangers, il a du moins une servante maîtresse qui n’a rien de mieux à faire qu’à mettre, le soir, dans sa poche la clef du fameux pavillon. On peut, quand il en sera temps, ouvrir les yeux de la duègne. »

Dans cette persuasion, il laissa Émile à peu près libre de son temps et de ses démarches. Il se bornait à le railler, et à dénigrer amèrement la famille de Châteaubrun dans l’occasion, pour se mettre à l’abri du reproche d’avoir ouvertement encouragé les poursuites de son fils.

Dans son opinion, Antoine de Châteaubrun était véritablement un pauvre sire, un homme déconsidéré, que la misère avait avili et que l’oisiveté abrutissait.

Il voyait avec un plaisir superbe les anciens maîtres de la terre, déchus ainsi, se réfugier dans les bras du peuple, sans oser recourir à la protection et à la société des nouveaux riches.

M. de Boisguilbault ne trouvait pas grâce devant lui, quoiqu’il fût difficile de lui reprocher le désordre et le manque de tenue.

La richesse qu’il avait su conserver portait bien plus d’ombrage à Cardonnet que le nom de Châteaubrun, et s’il avait du mépris pour le comte, il avait une sorte de haine pour le marquis. Il le déclarait bon pour les Petites-Maisons, et rougissait pour lui, disait-il, de l’emploi stupide d’une si longue vie et d’une si lourde fortune.

Émile prenait soin de défendre M. de Boisguilbault, sans cependant avouer qu’il le voyait deux ou trois fois par semaine…

Il eût craint qu’en lui intimant de rendre ses visites plus rares, son père ne lui ôtât le prétexte qu’il avait auprès des habitants de Châteaubrun pour aller leur rendre une petite visite en passant.