Page:Sand - Le Secrétaire intime — Mattéa — La Vallée noire, 1884.djvu/231

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des plus belles personnes de Venise, et que sa beauté était rehaussée par un certain air de noblesse et de fierté qui la distinguait de toutes ses égales et la faisait paraître comme une princesse au milieu d’un troupeau de soubrettes.

— Cela est vrai, par le Christ, vrai ! répéta ser Zacomo d’un ton mélancolique. C’est une fille qui n’a jamais perdu son temps à s’attifer de colifichets, chose qui ne convient qu’aux dames de qualité  ; toujours propre et bien peignée dès le matin, et si tranquille, si raisonnable, qu’il n’y a pas un cheveu de dérangé à son chignon dans toute une journée  ; économe, laborieuse, et douce comme une colombe, ne répondant jamais pour se dispenser d’obéir, silencieuse que c’est un miracle, étant fille de ma femme ! enfin un diamant, un vrai trésor. Ce n’est pas la coquetterie qui l’a perdue  ; car elle ne faisait nulle attention à ses admirateurs, pas plus aux honnêtes gens qui venaient acheter dans ma boutique qu’aux godelureaux qui en encombraient le seuil pour la regarder. Ce n’est pas non plus l’impatience d’être mariée  ; car elle sait qu’elle a à Mantoue un mari tout prêt, qui n’attend qu’un mot pour venir lui faire sa cour. Eh bien ! malgré tout cela, voilà que du jour au lendemain, et sans avertir personne, elle s’est monté la tête pour quelqu’un que je n’ose pas seulement nommer.

— Pour qui ? grand Dieu ! s’écria Veneranda  ; est-ce le respect ou l’horreur qui glace ce nom sur vos lèvres ? est-ce de votre vilain bossu garçon de boutique  ; est-ce du doge que votre fille est éprise ?

— C’est pis que tout ce que Votre Excellence peut imaginer, répondit ser Zacomo en s’essuyant le front : c’est d’un mécréant, c’est d’un idolâtre, c’est du Turc Abul !

— Qu’est-ce que cet Abul ? demanda la princesse.

— C’est, répondit Zacomo, un riche fabricant de ces belles étoffes de soie de Perse, brochées d’or et d’argent,