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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/139

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jamais existé. Moi, je dis qu’il est impossible qu’il n’ait pas existé ; et j’en suis plus sûr depuis que j’ai compris ce que tu penses et ce que tu veux faire comprendre aux autres. Pourquoi serais-tu le premier ouvrier qui aurait eu de telles idées ? Je ne conçois pas comment je ne les ai pas eues plus tôt ; et je me dis que tu ne les aurais pas si des hommes ou des dieux comme Jésus ne les avaient pas répandues dans le monde. C’est pourquoi je ne veux plus écouter que toi ; je ne veux plus agir, ni penser, ni travailler, ni aimer même, sans que tu m’aies dit : Cela est bon, cela est juste. Et je ne te quitterai plus jamais…, excepté que je vais te quitter ce soir, mais pour aller t’attendre chez ton père. Tu vois que je ne comprends plus ce que c’est que des concours, de la gloire, des chefs-d’œuvre… nous avons bien autre chose à faire, c’est de travailler sans nuire aux autres, sans les humilier, sans leur disputer ce qui leur appartient aussi bien qu’à nous.

La Savinienne, inquiète de voir Pierre et Amaury quitter l’assemblée et s’enfoncer dans le jardin pour causer avec chaleur, les y avait suivis. Peu à peu elle s’était approchée ; et, appuyée sur le dossier de leur banc, elle les écoutait. Pierre la voyait bien, mais il était heureux qu’elle entendît les discours exaltés du Corinthien, et il se gardait de trahir sa présence. Quand le Corinthien se tut, la Savinienne lui dit avec un soupir : — Je voudrais que Savinien fût encore là pour vous entendre ; mais j’espère que dans le ciel il vous voit et vous bénit. Corinthien, vous avez un cœur et un esprit comme je n’en ai jamais connus…, si ce n’est mon pauvre Savinien ; mais il lui restait encore bien des choses à apprendre, et, comme l’on dit, la vérité sort de la bouche des enfants.

Pierre sourit de joie en voyant que la Savinienne comprenait le Corinthien. Il vit la rougeur et le transport de son ami, quand la Mère lui tendit la main en lui disant :