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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/158

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pagnons qui avaient été arrêtés sans motifs suffisants. Son activité, son air de franchise et son éloquence naturelle firent une telle impression sur les magistrats qu’ils n’osèrent entraver son zèle. Le lendemain il eut de plus tristes devoirs à remplir : ce fut de rendre les derniers honneurs à un de ses compagnons, mort dans la bataille. Cette cérémonie, à laquelle assistèrent tous les Gavots de Blois et que présida le Dignitaire, s’accomplit selon les rites du Devoir de liberté. Lorsque le cercueil fut descendu dans la fosse, Pierre s’agenouilla, et prononça une courte et belle prière à l’Être-Suprême, conforme au texte des livres sacrés ; puis il se releva, et, avançant un pied au bord de la fosse ouverte, il tendit la main à un des compagnons, qui prit la même attitude, saisit sa main et pencha son visage vers le sien pour échanger les mystérieuses paroles qui ne se prononcent pas tout haut ; après quoi ils s’embrassèrent, et tous les autres compagnons accomplirent lentement la même formule, s’éloignant deux à deux de la tombe après y avoir jeté chacun trois pelletées de terre.

Comme les Gavots quittaient le cimetière, un autre convoi arrivait, et les phalanges ennemies se rencontrèrent dans un morne silence sur la terre du repos, dans l’asile de l’éternelle paix. C’étaient les charpentiers Dévorants qui venaient aussi ensevelir leurs morts. Il y avait sans doute d’amères pensées et un repentir vainement combattu dans leurs âmes ; car leurs regards évitèrent ceux des Gavots, et les gendarmes qui les surveillaient à distance n’eurent pas besoin de maintenir l’ordre entre les deux camps. La circonstance était trop lugubre pour qu’on songeât de part et d’autre à exercer des représailles. Les Gavots entendirent, en se retirant, les hurlements étranges des charpentiers Dévorants, sorte de lamentation sauvage dont ils accompagnent leurs solennités, et