Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/169

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— C’est une excellente rencontre, s’écria le commis voyageur ; et vous allez nous aider à goûter les bons petits vins dont j’ai apporté ici les échantillons. C’est vous, messieurs, qui donnerez conseil au père Vaudois pour remonter sa cantine ; et comme vous avez quelquefois affaire avec elle dans vos parties de chasse, vous serez sûrs de ne pas la trouver à sec.

Les deux chasseurs se récrièrent sur l’heureux hasard qui les réunissait à leurs amis. Mais Pierre, qui les observait attentivement, ne fut point dupe de cette prétendue rencontre fortuite. Il surprit des regards échangés qui lui prouvèrent bien qu’il était, ainsi que le maître serrurier, l’objet d’un sérieux examen de la part de ces messieurs. Le plus âgé des deux était un capitaine licencié de l’ancienne armée, établi dans les environs. Pierre avait eu occasion de le voir autrefois à Blois, et même de lui donner quelques leçons de géométrie. À cette époque, le capitaine, effrayé des privations que lui imposait sa demi-solde, avait eu l’envie d’exercer une profession industrielle et de monter un atelier de menuiserie dans son village natal. Mais Pierre avait trouvé cette cervelle de militaire plus dure que le bronze d’un canon, et l’éducation n’avait pas été au delà des premières notions de la science.

Ce brave capitaine fit à son ancien précepteur un accueil plein de cordialité. Né dans le peuple, il n’avait point de peine à s’y remettre. Le médecin tâcha de se montrer aussi fraternel avec l’ouvrier ; mais il n’y réussit pas : il était aisé de voir que son rôle était forcé. L’avocat y mettait plus d’aisance et de savoir-faire ; mais Pierre se souvenait fort bien que cet agréable jeune homme n’avait pas, deux ans auparavant, l’habitude de lui serrer la main lorsqu’il allait lui présenter son compte de journées.

On se mit à table tous ensemble. Le Berrichon était allé aider complaisamment le Vaudois à faire tourner la