Aller au contenu

Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/202

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’entouraient et à se faire un monde de chimères dans le secret de ses pensées, elle feignit donc d’être à l’unisson de la famille, et reprit le train ordinaire de ses rêveries sentimentales sans en faire part à personne.

CHAPITRE XVII.

Le courage était revenu au cœur de Pierre Huguenin. La chapelle lui paraissait encore plus belle que lorsqu’il y était entré pour la première fois. La guérison de son père, la douce société et la précieuse assistance de son cher Corinthien, ajoutaient à son bonheur. Il prit son ciseau, et entonna d’une voix fraîche et sonore le chant sur la menuiserie :

Notre art a puisé sa richesse
Dans les temples l’Éternel.
Il a pris son droit de noblesse
En posant son sceau sur l’autel[1].

Puis, avant de donner le premier coup de ciseau, il embrassa son père, serra la main du Corinthien, et se mit à l’ouvrage avec ardeur. Le Berrichon hocha la tête.

— Et pour moi, rien de rien ? dit-il d’un gros air triste et bon.

— Pour toi aussi le cœur et la main, dit Pierre en pressant sa main calleuse.

Le Berrichon, rendu à la joie, fit sur le bois qu’il allait entamer une croix avec le ciseau, suivant l’antique coutume chrétienne de son pays, et se mit à chanter à son tour une chanson de l’Angevin-la-Sagesse, un des braves poëtes du Tour de France.

  1. L’équerre, insigne du travail, qui figure aussi le triangle symbolique de la Trinité divine.