Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/237

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tion dont je vous parle, c’était une nouveauté de l’apercevoir, une hardiesse de ne pas le nier, et une générosité seigneuriale d’en favoriser l’essor. Souvenez-vous que dans ce temps, déjà si éloigné de l’année 1840 par ses mœurs et ses opinions, les gens comme il faut ne voulaient point que le peuple apprît à lire, et pour cause. Le vieux comte de Villepreux était d’un libéralisme effréné aux yeux des gentillâtres ses voisins, et ce libéralisme était d’une originalité et d’un goût exquis aux yeux de la jeunesse cultivée du pays. Il était tout simple que la romanesque Joséphine donnât un peu dans cet engouement de la mode, sans en comprendre la portée. Elle voyait dans son héros un Giotto ou un Benvenuto en herbe ; et par-dessus tout cela il ne s’appelait ni la Rose, ni la Tulipe, ni la Réjouissance, ni le Flambeau-d’amour : le moindre de ces surnoms eût mal sonné aux oreilles, et l’eût dépoétisé, comme on dit maintenant ; mais il avait un surnom qui plaisait et qu’on aimait à lui confirmer : il s’appelait le Corinthien.

Pourquoi le Corinthien fut-il remarqué, et pourquoi Pierre Huguenin ne le fut-il pas ? Ce dernier n’avait guère moins de succès au salon ; c’est-à-dire que lorsque, dans les causeries du soir, on mentionnait le Corinthien, on mettait toujours Pierre de moitié dans les éloges qu’on lui donnait. Le comte admirait sa belle prestance, son air distingué, ses manières dont la dignité naturelle était bien digne de remarque, son langage probe, intelligent, sensé, et surtout son ardente et poétique amitié pour le jeune sculpteur. Mais c’est que le sculpteur était doué du feu sacré, et qu’il avait dû refléter sur son ami le menuisier. Lorsqu’on disait ces choses, le front de la marquise s’animait ; elle se trompait de cartes en jouant au reversi avec son oncle, ou faisait rouler ses pelotes de soie en brodant au métier ; et puis elle hasardait un timide re-