Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 1.djvu/24

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château, je mécontenterais le bourg et la campagne, et on appellerait un second menuisier qui m’enlèverait toutes mes pratiques.

— Il est pourtant joli de mettre en poche en moins d’un an, en six mois peut-être, une belle somme ronde et payée comptant. Je veux bien croire que vous avez une clientèle nombreuse, maître Huguenin, mais tous vos clients ne payent pas.

— Pardon, dit le menuisier blessé dans son orgueil démocratique, ce sont tous d’honnêtes gens et qui ne commandent que ce qu’ils peuvent payer.

— Mais qui ne payent pas vite, reprit l’économe avec un sourire malicieux.

— Ceux qui tardent, répondit Huguenin, sont ceux à qui je veux bien faire crédit. On s’entend toujours avec ses pareils ; et moi aussi je fais bien quelquefois attendre l’ouvrage plus que je ne le voudrais.

— Je vois, dit l’économe d’un air calme, que mon offre ne vous séduit pas. Je suis fâché de vous avoir dérangé, père Huguenin ; — et soulevant sa casquette, il fit mine de s’en aller, mais lentement ; car il savait bien que l’artisan ne le laisserait pas partir ainsi.

En effet, l’entretien fut renoué au bout de l’allée.

— Si je savais de quoi il s’agit, dit Huguenin, affectant une incertitude qu’il n’éprouvait pas : mais peut-être que cela est au-dessus de mes forces… c’est de la vieille boiserie ; dans l’ancien temps on travaillait plus finement qu’aujourd’hui… et les salaires étaient sans doute en proportion de la peine. À présent il nous faut plus de temps et on nous récompense moins. Nous n’avons pas toujours les outils nécessaires… et puis les seigneurs sont moins riches et partant moins magnifiques…

— Ce n’est toujours pas le cas de la famille de Villepreux, dit Lerebours en se redressant ; l’ouvrage sera