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LE COMPAGNON

finesse et d’enjouement. Cet instant d’abandon et de gaieté la montra à Pierre sous un aspect de beauté qu’il ne lui connaissait pas, et la confiance délicate qu’elle lui témoignait le pénétra jusqu’au cœur.

CHAPITRE XXIX.

Nous sommes arrivés, dans le cours de notre histoire, à ce moment décisif où s’affaissèrent les sociétés secrètes de la bourgeoisie sous la restauration. Si le lecteur a fait attention à la silhouette que nous avons tracée du comte de Villepreux, il doit soupçonner auquel des quatre partis du Carbonarisme ce vieux politique se rattachait ; et il peut en même temps s’expliquer par là comment un personnage si fin, si sceptique, si léger et si pusillanime, avait osé quitter le sentier vulgaire de la politique officielle pour se lancer dans les conspirations.

Certes, le comte avait trop le sentiment de la tradition historique de la France, soit ancien régime, soit révolution, pour songer à un prince étranger, et, puisqu’il faut nommer ce prétendant par son nom, à un prince d’Orange. M. de Villepreux laissait cette idole à d’autres conspirateurs. Il y a des hommes d’état d’aujourd’hui, ministres, pairs ou députés, qui, fixés alors par l’exil en Belgique, avaient imaginé de réunir la Belgique à la France en donnant le sceptre constitutionnel à un prince belge ; ils crurent ainsi un moment renverser la restauration avec l’appui du Nord. L’histoire nous fera peut-être un jour connaître les savants mémoires à consulter qu’ils adressaient à l’empereur de Russie en faveur de leur candidat. Ce candidat hollandais n’avait pas le suffrage du comte, malgré les efforts infinis que fit pour le séduire certain professeur éclectique qui, allant pendant ses vacances picorer en