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Page:Sand - Le compagnon du tour de France, tome 2.djvu/169

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LE COMPAGNON

— Ah ! eh bien ; nous verrons cela. Mais, dites-moi, la Savinienne est donc bien réellement sa maîtresse ?

— Il n’y a que vous qui ne le sachiez pas.

— Ma sœur se persuade cependant que c’est la plus honnête femme du monde.

— Hélas ! mademoiselle Yseult, est dans une grande erreur. Il est bien malheureux qu’elle ait laissé ces gens-là se familiariser avec elle ; cela pourra lui faire plus de tort qu’elle ne pense.

Raoul devint tout à coup sérieux, et, ralentissant son cheval : — Qu’entendez-vous par là ? dit-il ; quelle familiarité trouvez-vous possible entre ma sœur et des gens de cette sorte ?

Le lecteur n’a pas oublié l’aversion que le fils Lerebours nourrissait contre Yseult depuis le jour où elle avait ri de sa chute de cheval. De son côté, elle n’avait jamais pu lui dissimuler l’antipathie et l’espèce de mépris qu’elle éprouvait pour lui, et l’aventure du plan de l’escalier lui avait arraché quelques moqueries qui étaient revenues à Isidore. Il n’avait donc jamais négligé l’occasion de la dénigrer, lorsqu’il avait pu le faire sans se compromettre ; et, depuis quelque temps, il poussait la vengeance jusqu’à insinuer que mademoiselle de Villepreux ne regardait pas de travers le fils Huguenin ; que, de sa chambre, il les voyait causer ensemble des heures entières chez la Savinienne, et qu’il était tout au moins fort singulier qu’une demoiselle de son rang fréquentât une femme de mauvaise vie et prît ses amis dans le ruisseau.

Il pensa donc qu’en attribuant à l’opinion publique les sales idées qui lui étaient venues, et en les faisant pressentir au frère ultra de la jeune républicaine, il porterait un grand coup, soit à l’indépendance et au bonheur domestique d’Yseult, soit à Pierre Huguenin et à la Savinienne. Il répondit à Raoul que l’on avait remarqué dans