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DU TOUR DE FRANCE.

plia sous la supériorité de l’artisan, sans toutefois y consentir intérieurement ; son amour-propre le lui défendait : et tout en lui déclarant qu’il le regardait comme son maître, tout en le reconnaissant pour tel dans sa conscience sur certains points, il cherchait encore les moyens de l’éblouir par ses démonstrations de force morale et son étalage de vertu civique.

Leur entretien se prolongea si tard, que les violons étaient partis, que le village était couché, que les lumières du château avaient successivement disparu, et que deux heures du matin sonnaient à la grande horloge lorsqu’ils songèrent à se séparer. Ils se promirent de se revoir le lendemain. Achille prit le chemin du château, et Pierre le conduisit jusqu’à la porte d’une tour dans laquelle son appartement était préparé. C’est alors seulement qu’il osa lui demander sous quel titre et sur quel pied il était dans la famille de Villepreux.

— Il y a longtemps que je connais les Villepreux, répondit Achille avec ce ton de familiarité qui lui était propre ; je suis lié avec le vieux bonhomme.

— Et votre connaissance s’est faite comme entre un homme qui achète des vins et un homme qui en vend ? Vous vendez donc réellement des vins ?

— Sans doute ! quels seraient donc mon passe-port pour entrer partout, et ma garantie pour voyager sans mettre la police à mes trousses ? Je vends des vins, et de toutes qualités. Avec le Xérès et le Malvoisie, je pénètre dans les châteaux ; avec l’eau-de-vie et le rhum, dans les cafés, et jusque dans les cabarets de village. Comment ai-je fait la connaissance du Vaudois ?

— Je ne vous demande pas cela. Y a-t-il longtemps que vous venez dans ce château ?

— Cinq ou six ans ; c’est moi qui ai monté la cave.