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DU TOUR DE FRANCE.

trait, sans donner à la marquise le temps de la réflexion.

Où avait-il pris tant d’audace ? Eh ! que sais-je ! Lecteur, il vous est plus aisé de le comprendre qu’a moi de vous l’expliquer. Il y a des natures timides comme Pierre Huguenin, réservées comme Yseult. Il y a aussi des natures spontanées comme la marquise, impétueuses comme le Corinthien. Ensuite il y a la jeunesse, la beauté qui cherche et attire la beauté, le désir qui nivelle les rangs et se rit de l’usage ; il y a aussi l’occasion qui enhardit, et la nuit qui protège.

Le Corinthien descendit la côte certainement avec plus de témérité que Wolf ne l’eût descendue ; et pourtant Joséphine n’avait pas peur ; et pourtant ce pauvre Wolf n’était pas le plus ivre des trois.

Quand on fut au bas de la côte, il fallut la remonter, et là il était impossible au cheval d’aller au trot. D’ailleurs n’avait-on pas assez d’avance pour laisser respirer cette pauvre bête ? Mais la marquise n’était pas encore tranquille. Cet homme ivre pouvait courir après la voiture, réclamer son fouet et son siége dont il était aussi jaloux qu’un roi peut l’être de son trône et de son sceptre, enfin le disputer de vive force à l’usurpateur. La marquise frémissait à l’idée d’une pareille scène, et, dans son inquiétude, il était assez naturel qu’elle s’agitât dans la voiture, qu’elle changeât de place, qu’elle s’assît même sur la banquette de devant pour regarder si quelqu’un n’accourait pas par derrière. Il était naturel aussi que le Corinthien se retournât de temps en temps, et appuyât son coude sur le dossier de devant de la calèche, pour rassurer la marquise et pour répondre à ses fréquentes interrogations. Enfin cette rencontre inattendue, cette brusque détermination et cette fuite précipitée étaient bien assez étranges pour qu’on se récriât un peu, et pour qu’on échangeât quelques éclaircissements.