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DU TOUR DE FRANCE.

d’une personne qui est au-dessus de nous deux par son esprit et son caractère.

— Oui-dà ! je ne croyais pas si bien dire, reprit Achille, frappé de l’émotion du jeune artisan. Mais pourquoi pensez-vous que je me moque de vous, ami Pierre ? Notre siècle n’est-il pas enfin entré dans la voie de la raison et de la philosophie ? Pensez-vous qu’une personne aussi franchement républicaine que mademoiselle de Villepreux ne doive pas considérer absolument comme son égal un homme tel que vous ? Je vous réponds, moi, qu’elle vous apprécie parfaitement, et qu’il n’y a pas chez elle l’ombre d’un préjugé, à présent surtout que vous voici des nôtres, et que la Charbonnerie vous mettra en rapport, à tous les moments de la vie, et sur tous les points de la politique…

— Vous n’êtes qu’un exploiteur ! s’écria Pierre, irrité profondément de la légèreté avec laquelle Achille jouait avec le secret de son âme ; oui, vous exploitez toutes choses, même les plus sacrées. Pour me gagner à votre cause, vous ne rougiriez pas de susciter en moi les pensées les plus folles et les plus absurdes ; mais pensez-vous que je sois assez sot pour m’y laisser prendre ?

Achille ne se laissa pas rebuter par la fierté de son ami, et, sans s’inquiéter de sa résistance, il le força d’entendre tout le bien qu’Yseult disait de lui.

Achille ne mentait pas ; seulement il racontait brutalement, et interprétait les choses avec une audace incroyable. Pierre souffrait en l’écoutant, mais il l’écoutait ; et une irrésistible joie, une espérance insensée, venaient malgré lui porter le dernier coup à sa raison. Il passa la nuit et les jours suivants dans une sorte de délire ; et Achille, qui avait pris à tâche de l’endoctriner tous les jours, s’aperçut qu’il ne l’écoutait pas, qu’il ne songeait plus ni à la philosophie ni à la politique, mais que, do-