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Les Maîtres sonneurs

de conséquence que sa gentillesse et sa belle grâce, devint comme une reine, que les filles laides et délaissées critiquaient tout bas, mais que les autres trouvaient plus de profit que de dépit à reconnaître et à fréquenter.

Il y avait approchant une année qu’on se divertissait ainsi, sans avoir reçu d’autres nouvelles de Joseph que deux lettres par lesquelles il faisait connaître à sa mère qu’il était en bonne santé et gagnait bien sa vie dans le Bourbonnais. Il n’y disait point l’endroit de sa demeurance, et les deux lettres portaient la marque de deux endroits différents. Mêmement la seconde n’était guère commode à comprendre, encore que notre nouveau curé fût très-adroit à lire les écritures ; mais il paraissait que Joseph s’était fait enseigner l’instruction, et s’était essayé, pour la première fois, à écrire de lui-même. Enfin, vint une troisième lettre, adressée à Brulette, et M. le curé la lut bien couramment et la trouva clairement tournée. Celle-là disait que Joseph était un peu malade et s’en remettait à la main d’un ami pour donner de ses nouvelles. Ce n’était qu’une fièvre de printemps, et l’on ne s’en devait point tourmenter. On y disait encore qu’il était avec des amis, lesquels, faisant coutume de voyager, se mettaient en route pour le pays de Chambérat, d’où ils écriraient encore, si son état venait à s’empirer malgré les grands soins qu’ils lui donnaient.

— Mon Dieu ! dit Brulette, quand le curé lui eut fait entendre ce qu’il y avait sur ce papier, j’ai grand’peur qu’il ne se soit fait muletier aussi, et je n’oserais dire à sa mère ni sa maladie ni l’état qu’il a pris. La pauvre âme a bien assez de peines comme ça.

Et puis, regardant la lettre, elle demanda ce que disait la signature. M. le curé, qui n’y avait pas fait grande attention, mit ses lunettes et se prit à rire, disant qu’il n’avait jamais vu chose pareille, et qu’il avait beau s’y reprendre, il n’y voyait, en guise de