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Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/157

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Dixième veillée

étions assis, et se mit à manger seul, tandis que je profitais du plaisir de servir Brulette.

Elle en rit d’abord, croyant l’avoir fâché et y prenant gré comme toutes les coquettes ; mais quand elle se lassa du jeu et le voulut ramener, elle eut beau l’exciter en paroles, il tint bon, et, chaque fois qu’elle tournait la tête devers lui, il lui tournait le dos en se cachant d’elle et en lui répondant, bien à propos, mille badineries, sans montrer aucun dépit, ce qui, pour elle, était peut-être bien le pire de la chose.

De sorte qu’elle en eut regret, et, à un mot un peu vif qu’il lâcha sur les bégueules, et qu’elle crut dit à son intention, deux larmes lui tombèrent des yeux, encore qu’elle eût bien voulu les retenir en ma présence. Huriel ne les vit point, et je n’eus garde de paraître les avoir vues.

Quand nous fûmes assez repus pour une fois, Huriel me dit de serrer le restant de nos vivres, et ajouta :

— Si vous êtes las, mes enfants, vous pouvez faire un somme ici, car nos bêtes ont besoin qu’on laisse passer la grande chaleur du jour. C’est l’heure où la mouche est enragée, et, dans ces taillis, elles se peuvent frotter et secouer à leur guise. Je compte, Tiennet, que tu feras bonne garde à notre princesse. Moi, je vas monter un peu dans la forêt pour voir comment s’y gouverne l’œuvre du bon Dieu.

Et d’un pas léger, ne sentant pas plus le chaud que si nous étions au mois d’avril, encore que ce fût en plein juillet, il grimpa la côte et se perdit sous les grands arbres.

Onzième veillée

Brulette fit de son mieux pour me cacher son ennui de le voir partir, mais, ne se sentant point le cœur à la causette, elle fit mine de s’endormir sur le sable fin de la