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Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/173

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Douzième veillée

pas un enfant pour vous mettre dans un danger et vous y laisser. Pourquoi vous êtes-vous sauvés de l’endroit où je vous avais recommandé de m’attendre ?

— C’est vous qui nous faites reproche ? dit Brulette un peu animée ; j’aurais cru que ce dût être le contraire.

— Commencez donc ! dit Huriel devenu pensif. Je parlerai après. De quoi me blâmez-vous ?

— Je vous blâme, répondit-elle, de n’avoir pas eu la prévoyance de la mauvaise rencontre que nous devions faire ; je vous blâme surtout d’avoir su donner fiance à mon père et à moi, pour me faire sortir de ma maison et de mon pays, où je suis aimée et respectée, et pour m’amener dans des bois sauvages, où vous ne pouvez qu’à grand’peine me sauver des offenses de vos amis. Je ne sais pas quelles paroles grossières ils ont voulu me dire ; mais j’ai bien entendu que vous étiez forcé de répondre de moi comme d’une honnête fille. C’est donc qu’on en doit douter en me trouvant en votre compagnie ? Ah ! le malheureux voyage ! Voici la première fois de ma vie que je me vois insultée, et je ne croyais point que cela me dût arriver jamais !

Là-dessus, de dépit et de chagrin, le cœur lui enfla et elle se prit à pleurer de grosses larmes. Huriel ne répondit pas d’abord : il avait une grande tristesse. Enfin, il prit courage et lui dit :

— Il est vrai, Brulette, que vous avez été méconnue. Vous en serez vengée, je vous en réponds ! Mais comme je n’ai pu en donner punition sur l’heure, sans vous exposer davantage, ce que je souffre au dedans de moi, de colère rentrée, je ne peux pas vous le dire, vous ne le comprendriez jamais !

Et les larmes qu’il retenait lui coupèrent la parole.

— Je n’ai pas besoin d’être vengée, reprit Brulette, et je vous prie de n’y plus songer ; je tâcherai d’oublier de mon côté.