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Treizième veillée

peines m’attendaient : la première, c’est que notre pauvre Joset en mourrait de chagrin ; la seconde, que notre belle Brulette quitterait le pays de chez nous, et que je n’aurais plus ni sa vue, ni sa causerie.

J’en étais là de mon raisonnement, quand je vis revenir Huriel, menant avec lui une fille si belle que Brulette n’en approchait point. Elle était grande, mince, large d’épaules et dégagée, comme son frère, dans tous ses mouvements. Naturellement brune, mais vivant toujours à l’ombre des bois, elle était plutôt pâle que blanche ; mais cette sorte de blancheur-là charmait les yeux, en même temps qu’elle les étonnait, et tous les traits de sa figure étaient sans défaut. Je fus bien un peu choqué de son petit chapeau de paille retroussé en arrière comme la queue d’un bateau ; mais il en sortait un chignon de cheveux si merveilleux de noirceur et quantité, qu’on s’accoutumait bientôt à le regarder. Ce que je remarquai dès le premier moment, c’est qu’elle n’était pas souriante et gracieuse comme Brulette. Elle ne cherchait point à se rendre plus jolie qu’elle ne l’était, et son apparence était d’un caractère plus décidé, plus chaud dans la volonté, et plus froid dans les manières.

Comme je me trouvais assis contre une corde de bois coupé, ils ne me voyaient point, et, au moment qu’ils s’arrêtèrent près de moi, à la fourche d’une sente, ils se parlèrent comme gens qui sont seuls.

— Je n’irai point, disait la belle Thérence d’une voix affermie. Je vas aux cabanes tout préparer pour leur souper et leur couchée ; c’est tout ce que je veux faire pour le moment.

— Et tu ne leur parleras point ? Tu vas leur montrer ta mauvaise humeur ? disait Huriel qui paraissait surpris.

— Je n’ai point de mauvaise humeur, répondit la jeune fille ; et d’ailleurs, si j’en ai, je ne suis pas forcée de la montrer.