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Quatorzième veillée

aimant et si aimable, que je ne suis point jalouse de son plaisir.

— Eh bien, Thérence, dit Brulette, espérons qu’il rendra Joseph tout pareil à lui et par conséquent digne de vous.

— De moi ? pourquoi de moi plus que de vous ? Dieu m’est témoin que je ne m’occupe pas de moi quand je travaille et prie pour Joseph. Mon sort me tourmente bien peu, allez, Brulette, et je ne comprends guère qu’on se souvienne de soi-même dans l’amitié qu’on a pour une personne.

— Alors, dit Brulette, vous êtes comme une manière de sainte, ma chère Thérence, et je sens que je ne vous vaux point ; car je me compte toujours pour quelque chose, et même pour beaucoup, quand je me permets de rêver le bonheur dans l’amour. Peut-être n’aimez-vous point Joseph comme je me l’imaginais ; mais quoi qu’il en soit, je vous prie de me dire comment je dois me comporter avec lui. Je ne suis point du tout sûre qu’en lui ôtant l’espérance, je lui porterais le coup de la mort : autrement vous ne me verriez pas si tranquille ; mais il est malade, c’est bien vrai, et je lui dois des ménagements. Voilà où mon amitié pour lui est grande et sincère, et où je ne suis pas si coquette que vous pensez ; car s’il est vrai que j’aie cinquante galants en mon village, où serait mon avantage et mon divertissement de venir relancer en ces bois le plus humble et le moins recherché de tous ? Il me semblait, au contraire, que je méritais mieux de votre estime, puisqu’à l’occasion, je savais lâcher sans regret ma joyeuse compagnie pour venir porter assistance à un pauvre camarade qui se réclamait de mon souvenir.

Thérence, comprenant enfin qu’elle avait tort, se jeta au cou de Brulette, sans lui demander aucunement excuse, mais en lui marquant par des caresses et par des larmes qu’elle s’en repentait franchement.