Aller au contenu

Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/350

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

mère de mes enfants plus que l’argent, plus que le talent, plus que le plaisir et la gaudriole, plus que tout au monde. Je vois bien que mon fils Huriel est de mon acabit, puisqu’il a changé, sans regret, d’état et de goûts pour se rendre capable de prétendre à Brulette. Et je crois que tu penses de même, puisque tu le dis si franchement. Mais enfin le talent est quelque chose que Dieu estime aussi, puisqu’il ne le donne pas à tout le monde, et on doit du respect et du secours à ceux qu’il a marqués comme les ouailles de son choix.

— Croyez-vous donc que votre fils Huriel n’ait pas autant d’esprit et plus de talent dans la sonnerie que notre Joset ?

— Mon fils Huriel a de l’esprit et du talent. Il a été reçu maître sonneur à dix-huit ans, et encore qu’il n’en fasse pas le métier, il en a la connaissance et la facilité ; mais il y a une grande différence, ami Tiennet, entre ceux qui retiennent et ceux qui inventent : il y a ceux qui, avec des doigts légers et une mémoire juste, disent agréablement ce qu’on leur a enseigné ; mais il y a ceux qui ne se contentent d’aucune leçon et vont devant eux, cherchant des idées et faisant, à tous les musiciens à venir, le cadeau de leurs trouvailles. Or je te dis que Joseph est de ceux-là, et qu’il y a même en lui deux natures bien remarquables : la nature de la plaine, où il est né, et qui lui donne des idées tranquilles, fortes et douces, et la nature de nos bois et de nos collines, qui s’est ouverte à son entendement et qui lui a donné des idées tendres, vives et sensibles. Il sera donc, pour ceux qui auront des oreilles pour entendre, autre chose qu’un sonneur ménétrier de campagne. Il sera un vrai maître sonneur des anciens temps, un de ceux que les plus forts écoutent avec attention et qui commandent des changements à la coutume.

— Vous croyez donc, père Bastien, qu’il deviendra un second grand bûcheux de votre ordre ?

— Ah ! mon pauvre Tiennet, répondit le vieux sonneur