Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/406

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lui donnait de l’avantage, il la démancha et n’en garda que le hautbois, dont il se servit si bien qu’on put encore mieux goûter l’excellence de ses airs. Enfin, il prit la musette de Carnat et la mena si habilement qu’il en tira encore des sons agréables, et qu’on eût dit d’un autre instrument que celui qu’on avait entendu d’abord.

Les juges ne firent rien connaître de leur opinion, mais les autres assistants, trépignant de joie et faisant grande acclamation, décidèrent que rien de si beau n’avait été ouï au pays de chez nous, et la mère Bline de la Breuille, qui avait quatre-vingt-sept ans et n’était encore sourde ni bègue, s’avançant à la table des sonneurs, et frappant de sa béquille au milieu d’eux, leur dit en son franc parler que le grand âge autorisait :

— Vous aurez beau faire la moue et branler la tête, ça n’est aucun de vous qui pourrait jouter avec ce gars ; on parlera de lui dans deux cents ans d’ici, et tous vos noms seront oubliés avant que vos carcasses soient pourries dans la terre.

Puis elle sortit, disant (et tout le monde avec elle) que si les sonneurs rejetaient Joseph de leur corporation, c’était la pire injustice qui se pût commettre et la plus vilaine jalousie qui se pût avouer.

C’était le moment de délibérer, et les sonneurs montèrent en une chambre haute, dont j’allai leur ouvrir la porte à seules fins d’essayer de surprendre quelque chose en les écoutant causer sur l’escalier. Les derniers qui se présentèrent à cette porte pour entrer furent le grand bûcheux et Huriel ; mais alors, le père Carnat, qui reconnaissait le fils pour l’avoir vu chez nous à la jaunée de Saint-Jean, leur demanda ce qu’ils souhaitaient, et de quel droit ils se présentaient au conseil.

— Du droit que nous donne la maîtrise, répondit le père Bastien, et si vous en doutez, faites-nous les questions d’usage, où éprouvez-nous en quelle musique vous voulez.