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Page:Sand - Les Maitres sonneurs.djvu/61

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Deuxième veillée

dit-elle, continuant un propos où l’on ne s’entendait pas du tout ; mais je crois que mes ménagements augmentent son mal.

— Il est bien vrai, ajoutai-je, après avoir réfléchi, que ce garçon a toujours eu, dans son air, quelque chose de singulier. Ma grand’mère, qui est morte, et tu sais qu’elle se piquait de connaissances sur l’avenir, disait qu’il avait le malheur écrit sur la figure, et qu’il était condamné à vivre dans les peines, ou à mourir dans la fleur de ses ans, à cause d’une ligne qu’il avait dans le front ; et, depuis ce temps-là, je te confesse que quand Joset se chagrine, je crois voir cette ligne de disgrâce, encore que je ne sache point où ma grand’mère la voyait. Alors, j’ai comme peur de lui, ou plutôt de son destin, et je me sens porté à lui épargner tout reproche et tout malaise, comme à quelqu’un qui n’a pas longtemps à jouir de la vie.

— Bah ! répondit Brulette en riant, voilà les rêveries de ma grand’tante  ; je me les rappelle bien. Ne t’a-t-elle point dit aussi que les yeux clairs, comme sont ceux de Joseph, voient les esprits et toutes choses cachées ? Mais moi, je n’en crois rien, non plus qu’au danger de mort pour lui. On vit longtemps avec l’esprit fait comme il l’a ; on se soulage en tourmentant les autres, et on peut bien les enterrer tous, en les menaçant à toute heure de se laisser mourir.

Je n’y comprenais plus rien, et j’allais questionner encore, quand Brulette me redemanda ses chaussures où elle fourra lestement ses pieds, bien que les sabots fussent si petits que je n’avais pas pu y fourrer ma main. Alors, rappelant son chien et retroussant sa jupe, elle me laissa tout soucieux et tout ébahi de ce qu’elle m’avait conté, et aussi peu avancé avec elle que le premier jour.

Le dimanche ensuivant, comme elle partait pour la messe de Saint-Chartier, où elle allait plus volontiers qu’à celle de notre paroisse, à cause que l’on dansait