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les sept cordes de la lyre

vers la jeunesse, vers la beauté, vers l’amour ? Hélène m’eût aimé peut-être, si, au lieu d’égarer son esprit dans le dédale du raisonnement, je l’eusse laissée s’élever en liberté vers les régions fantastiques où son essor l’entraînait ! Peut-être y avait-il autant de logique dans sa poésie qu’il y en avait dans ma science. Elle m’eût révélé une nouvelle face de la Divinité ; elle m’eût montré l’idéal sous un jour plus brillant… Dieu ne s’est communiqué à moi jusqu’ici qu’à travers le travail, la privation et la douleur ; je l’eusse possédé dans l’extase de la joie… Ils le disent, du moins ; ils le disent tous ! ils se prétendent heureux, tous ces poëtes, et leurs larmes sont encore du bonheur, car elles sont versées dans l’ivresse. Notre sérénité leur offre l’image de la mort, et notre existence est à leurs yeux le néant !… Qui donc m’a persuadé que j’étais dans la seule voie agréable au Seigneur ? N’avais-je pas, moi aussi, des facultés pour la poésie ? Pourquoi les ai-je refoulées dans mon sein comme des aspirations dangereuses ?… Et moi aussi, j’eusse pu être homme !… Et moi aussi, j’eusse pu aimer !…




Scène V. — HANZ, ALBERTUS.


Hanz. Nous sommes inquiets de vous, mon cher maître ; la pluie commence, et l’orage va éclater. Veuillez prendre mon bras, car l’obscurité est profonde et le sentier est escarpé.

Albertus. Hanz ! dis-moi, mon fils, es-tu heureux ?

Hanz. Quelquefois, mon bon maître, et jamais bien malheureux.