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Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/17

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les sept cordes de la lyre

d’avoir laissé ses passions s’éteindre dans l’abstinence.

albertus. Tu dis trop vrai, Wilhelm !… Tiens, regarde cette lyre. Sais-tu ce que c’est ?

wilhelm. C’est la fameuse lyre d’ivoire inventée et confectionnée par le célèbre luthier Adelsfreit, digne ancêtre d’Hélène Meinbaker. Il la termina, dit-on, le jour même de sa mort, il y a environ cent ans ; et le bon Meinbaker la conservait comme une relique, sans permettre que sa propre fille l’effleurât même de son haleine. C’est un instrument précieux, maître, et dont l’analogue ne se retrouverait nulle part. Les ornements en sont d’un goût si exquis, et les figures d’ivoire qui l’entourent sont d’un travail si admirable, que des amateurs en ont offert des sommes immenses. Mais, quoique ruiné, Meinbaker eût mieux aimé mourir de faim que de laisser cet instrument incomparable sortir de sa maison.

albertus. Pourtant cet instrument incomparable est muet. C’est une œuvre de patience et un objet d’art qui ne sert à rien, et dont il est impossible aujourd’hui de tirer aucun son. Ses cordes sont détendues ou rouillées, et le plus grand artiste ne pourrait les faire résonner…

wilhelm. Où voulez-vous en venir, maître ?

albertus. À ceci : que l’âme est une lyre dont il faut faire vibrer toutes les cordes, tantôt ensemble, tantôt une à une, suivant les règles de l’harmonie et de la mélodie ; mais que, si on laisse rouiller ou détendre ces cordes à la fois délicates et puissantes, en vain l’on conservera avec soin la beauté extérieure de l’instrument, en vain l’or et l’ivoire de la lyre resteront purs et brillants ; la voix du ciel ne l’habite