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carl

m’était facile de voir que personne n’était moins propre à ce rôle. Il était d’une constitution très-faible, comme je l’ai dit, et je le croyais atteint de quelque maladie chronique ; car l’état peu brillant de ses facultés intellectuelles, l’espèce d’assoupissement qui s’emparait de lui à chaque instant, son défaut de mémoire et de prévoyance, tant de langueur et d’apathie dans un être si sincèrement dévoué, sa mélancolie que n’éclairait jamais un rayon de la gaieté de son âge, tout annonçait un désordre sérieux, incurable peut-être, dans son organisation.

Quoi qu’il en soit, un jour que son père l’avait cruellement maltraité pour s’être oublié trop longtemps près de moi, je me décidai à le prendre sous ma protection. La vue de son sang, les traces d’un châtiment inique subi avec patience pour l’amour de moi, me saisirent d’une telle compassion, que je me serais méprisé si j’avais pu balancer davantage. Je fis monter maître Peters, et je lui déclarai que j’allais le dénoncer à la justice du canton comme meurtrier de son enfant, s’il n’accédait à la proposition que je voulais lui faire. Il prit un air fort insolent ; mais, quand il eut jeté un regard de côté sur ma bourse qui était encore assez ronde, et que j’avais posée à dessein sur la table, il se calma et attendit l’explication. Aussitôt que j’eus fait la première ouverture :

— Mille diables ! s’écria-t-il, vous voulez emmener ce paresseux, cet inutile, ce dort debout ? Si j’en avais dix comme lui, je vous les donnerais tous par-dessus le marché. Débarrassez-moi de ce fardeau, et que j’en entende parler le moins possible ; ce sera le mieux.

L’affaire fut conclue sur-le-champ. Je demandai à Carl ce qu’il voulait gagner.