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Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/294

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la fille d’albano

berté ; tu m’entendras pourtant, et, après…, je souscrirai à ton mariage ; j’en souffrirai, et ne t’en aimerai que mieux, car tu en auras besoin, pauvre enfant !

Laurence laissa tomber son front blanc et pur sur sa main veinée de bleu, et une larme, qu’elle s’efforça vainement de retenir, roula sur son bouquet de jasmin et d’orange.

Carlos, qui se promenait en silence dans la chambre, s’arrêta tout à coup pour la regarder.

— Belle comme la vierge du Corrége ! disait-il ; et, avec tant de poésie dans le regard, tant de feu dans l’âme, tant de génie entre les mains, végéter parmi des légistes et des calculateurs, amasser une fortune, faire des enfants, être la première servante d’une famille et d’un homme ! Ô ma sœur ! ma pauvre sœur !… Et, sans doute, ils ont réussi à te prouver qu’une femme n’était pas née libre, que la gloire déshonorait ton âme ; qu’il fallait jeter l’eau et la cendre sur le feu sacré !… Ma sœur, ma fille, mon élève, perdue, perdue !

— Non, Carlos ; telle que le ciel m’a faite, ils m’ont prise, ils m’ont aimée ; loin de leur sacrifier mes goûts, mes idées indépendantes et ma passion des arts, c’est lui, c’est sa mère, qui m’ont sacrifié leurs croyances pour m’attirer sur leur sein, pour me faire asseoir à leur bonheur, sans vouloir m’exiler du mien.

— Ils ont donc daigné, les superbes, te pardonner ton génie ! Dis-moi, ton mari te pardonne-t-il aussi d’être belle comme l’entendait Van Dyck ? Ne t’a-t-il point prescrit de lisser tes boucles rebelles à la main de la camériste, de serrer dans des lames d’acier ton corsage andalous, de baisser tes yeux de feu, et de faire