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Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/299

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la fille d’albano

et brûler d’imaginations ! que d’âme tu prêtais au pinceau ! que de vie tu versais sur la toile ! Et cet amour que tu semais autour de toi, qu’il était pur et chaste dans toutes ces jeunes têtes éprises de ma Laurence comme d’un rêve embaumé, comme d’une mélodie céleste, comme d’une apparition fantastique surgie des tableaux des grands maîtres !… Et maintenant, tu vas être aimée d’un amour conjugal, d’un amour terne et paisible, sans jalousie et sans vénération, sans emportement et sans culte ! Puis ils diront : « Elle était célèbre, elle s’est faite obscure ; elle avait une grande destinée, et elle l’a étouffée dans son ménage ; elle a renié la gloire pour conquérir l’estime… Ô misère ! C’est-à-dire, elle nous dépassait de la tête, et nous lui avons crié : À genoux ! C’était une étoile aux cieux, nous en avons fait un diamant pour orner notre sceptre ; le monde la réclamait, nous l’avons volée au monde. Qu’elle nous bénisse donc, la femme que nous avons dépouillée de son avenir, que nous avons nivelée à notre médiocrité ! » Et, s’ils soupçonnent un regret dans ton âme flétrie, s’ils surprennent une larme se cachant dans tes cils, ils t’en feront un crime, les barbares ! Car, ma sœur, la tristesse d’une femme déshonore un époux : pour être vertueux jusqu’à la lie, il faut même qu’elle renonce à pleurer.

Carlos pleurait lui même en parlant ; sa sœur se jeta dans ses bras et l’y serra avec force, comme si elle eût craint qu’on ne vînt l’en arracher déjà.

— Reste ! reste ! disait le peintre en la pressant sur son sein.

Et ses larmes tombaient sur la tête de la fiancée.

— Enfant, ajouta t-il, enfant qui veux une famille !