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Page:Sand - Les Sept Cordes de la lyre.djvu/315

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les fleurs de mai

Bruyère blanche, qui étales tes grappes de perles avec tant d’orgueil, d’où vient que je ne pense plus à toi en te regardant ? que m’importent tes mille fleurons semés comme une neige légère sur ta palmette flexible ? est-il un seul de ces petits êtres qui s’inquiète de la vie de son frère, et qui se sente issu de la même tige, nourri de la même séve, soumis à la même loi ? Vous n’êtes que de vains fantômes de l’immortelle beauté, vous n’êtes que de froids emblèmes de l’impérissable harmonie, êtres charmants et stupides que la poésie adore et que l’amour ne peut invoquer. Vous ne pouvez parler à la pensée humaine que par des signes glacés et des manifestations vagues ; vous n’aimez pas, vous ne sentez pas, vous ne connaissez pas. Bruyères fleuries, quand le sang des hommes vous arrose sur les champs de bataille, vous vous teignez de pourpre, et la rosée du soir lave vos souillures ; mais vous ne demandez point aux cieux si c’est une pluie qu’ils épanchent pour vous purifier, ou si ce sont des larmes répandues d’en haut sur les crimes de l’humanité.

Belles fleurs de mai, orgueil et jeunesse de la terre, je ne vous aime plus, vous que j’ai tant aimées ! Vous ne savez pas ce que souffrent les hommes, et vous n’avez rien à leur enseigner pour les rendre purs et tranquilles comme vous. Vous ne savez pas que les plus nobles et les plus vivantes créatures de Dieu se haïssent et se déchirent. Vous ne savez pas qu’elles se disputent le moindre coin de cette terre où vous naissez, où vous vivez toutes libres et à l’aise sous l’œil de la Providence ; vous ne croissez pas sur nos tombes pour consacrer la douleur de nos mères et pour couronner la dépouille de nos héros. Vous vous