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les sept cordes de la lyre

tellement ravi et absorbé par les vers de monsieur, que je n’ai pas bien saisi l’accompagnement.

Le poëte. Je ne vous demande pas d’éloges ; je tiens seulement à vous faire constater la beauté des sons que j’ai tirés de cette lyre, tenez ! est-il rien de plus pur et de plus puissant que cet accord ? (Il touche la lyre, qui reste muette.)

Le maestro. Eh bien ?

Le peintre. Vous avez entendu quelque chose ?

Le critique. Rien du tout.

Le poëte. Allons, vous êtes de mauvais plaisants ! Je suis bien fou de m’y laisser prendre ! Je jouerai pour moi seul. (Il joue en parlant.) Quelle sonorité ! quelle harmonie céleste ! — Eh ! mais cela est étrange ! les sons se produisent d’eux-mêmes, et viennent, comme par miracle, vibrer sous mes doigts. Écoutez ! quelle pureté dans mon jeu, quelle légèreté dans ces arpèges, quelle puissance dans ces accords sublimes ! poésie, reine de l’univers, c’est à toi que je dois un talent que j’ignorais, que je regardais comme secondaire, et qui, par la puissance de mon génie, s’élève jusqu’au ciel ! — Vous restez muets, vous autres, étonnés, atterrés, foudroyés par mon jeu ! Misérables ouvriers, il vous faudrait dix ans d’études pour arriver à jouer médiocrement sur un chalumeau. Et moi, sans avoir jamais appris la musique, sans connaître ni les règles de cet art ni le mécanisme d’aucun instrument, je déploie ici sans effort, sans soin, sans méditation, les trésors de mon âme ; je fais ruisseler presque involontairement des torrents d’harmonie ; je vois tout s’animer autour de moi : ces colonnes se balancent, ces fresques se tordent, et la voûte s’entr’ouvre pour laisser monter