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les sept cordes de la lyre

LE CRITIQUE. C’est mon avis aussi.

MÉPHISTOPHÉLÈS, à part. Allons donc ! battez-vous.

LE PEINTRE, en colère. Oui, vous voudriez bien qu’il en fut ainsi. Mes bons amis, je vous connais. Vous m’avez trahi tant de fois, que j’ai appris à faire de vos conseils le cas qu’ils méritent. En qualité de misérables plagiaires, vous voyez avec désespoir grandir les talents d’autrui ; toute supériorité vous écrase, et, habitués que vous êtes à copier servilement, vous criez à la bizarrerie et à l’exagération lorsque, dans l’imitation d’une œuvre d’art, vous voyez le génie de l’artiste surpasser son modèle. Eh bien, vous avez raison ! mes deux sirènes ne ressemblent point à celles de la lyre, pas plus que vos ouvrages, à l’un et à l’autre, ne ressemblent aux ouvrages que vous avez imités ; mais avec cette différence que vous gâtez grossièrement tout ce que vous touchez, tandis que j’ai donné un cachet sublime à la copie d’un sujet assez médiocre. Les sirènes de cette lyre sont deux jolies filles, les miennes sont deux déesses, et vos efforts seront vains : l’univers les jugera et confondra votre plate jalousie ou votre stupide aveuglement. (Il sort, emportant son album.)

LE MAESTRO. Ceci est de plus en plus étrange. Lui aussi, pris de vertige et devenu fou pour avoir seulement regardé cette lyre ! Oui, la prédiction se réalise ; le délire de la vanité s’empare des talents médiocres qui violent la virginité du talisman. Ô lyre magique ! je reconnais la puissance surnaturelle qui réside en toi ; et, puisque tu promets la sagesse et la prospérité à celui qui te fera parler dignement, je m’approche de toi avec une confiance respectueuse, et je me flatte de tirer de toi des harmonies telles, que toutes les puis-