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les sept cordes de la lyre

suis pas imaginé entendre une musique céleste émaner d’un instrument muet.

LE POËTE. Comment, vous n’entendez pas crier, grincer et rugir sous vos doigts ces cordes aigres et fausses ? Si vous n’êtes pas devenu fou, du moins vous êtes devenu sourd. Je vous le disais bien. Vous n’entendez pas mes divins accords, et vous n’entendez pas non plus l’épouvantable vacarme que vous faites.

LE PEINTRE. Tenez, tenez ! la leçon du professeur Albertus en est interrompue. Voyez là-bas. Les élèves se regardent avec effroi, et les voisins cherchent de tous côtés d’où peut partir un si détestable tintamarre. Faut-il leur annoncer que c’est le début de votre nouvelle symphonie ?

LE MAESTRO. Je ne réponds pas aux insultes d’un fou. Mais je suis fou moi-même d’avoir cru que cet instrument vermoulu renfermait une puissance magique. Je vois bien qu’il n’a rien de merveilleux, qu’il ne résonne pas parce que la table est fendue et que les cordes sont rouillées. Il n’y a rien ici que de très-naturel. Le plus grand génie du monde ne saurait faire parler un morceau de bois, et aux gens perdus de vanité la plus légitime contradiction suffit pour détraquer le cerveau : voilà pourquoi la lyre est muette, et voilà pourquoi vous êtes tous fous.

MÉPHISTOPHÉLÈS, à part. Je commence à croire que le diable lui-même peut le devenir. À quoi avais-je l’esprit quand j’ai compté que ces idiots me seraient bons à quelque chose ? L’esprit de la lyre se moque d’eux.

LE CRITIQUE, au maestro. Veuillez faire une exception pour moi, monsieur. J’ai vu avec la sérénité d’un jugement impartial les diverses tentatives que vous