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les sept cordes de la lyre

main industrieuse. Les sens ne sont que les serviteurs de l’esprit ; et ce que l’esprit ne comprend pas, la main ne peut le créer. Je créerai une lyre qui n’aura pas d’égale. L’ivoire le plus solide, l’or le plus pur, le bois le plus sonore, y seront employés. J’y déploierai toute la science du musicien, tout l’art du luthier. Les mains les plus habiles et les plus exercées n’en tireront pourtant que des chants vulgaires, si l’esprit ne les dirige, et si le souffle divin n’embrase l’esprit. Ô lyre ! l’esprit est en toi comme il est dans l’univers ; mais tu seras muette si l’esprit ne te parle… » Eh bien, maître, commencez-vous à comprendre ?

albertus. Certainement, tout ceci a un sens poétique d’un ordre assez élevé peut-être, mais pour moi excessivement vague.

méphistophélès. Ne vous rebutez pas. Cherchez longtemps ce sens mystérieux. Il serait possible qu’Adelsfreit ne l’eût pas entrevu clairement lui-même. Les hommes les plus doués du sentiment de l’idéal n’ont encore que des lueurs. Une idée est l’œuvre à laquelle travaillent plusieurs générations d’hommes supérieurs : à eux tous, ils complètent ; mais chacun d’eux l’a formulée, imparfaitement, à sa manière, et il vous faut combiner ensemble ces divers éléments dans l’alambic de votre cerveau pour en tirer la quintessence.

albertus. Vous parlez trop bien pour un simple brocanteur, maître Jonathas. Je vous soupçonne de faire ce métier pour la forme et d’être au fond adonné à des études que vous ne voulez pas laisser paraître. Voyons, qu’êtes-vous ? philosophe ou nécromant ?

méphistophélès. L’un et l’autre, monsieur !