Page:Sand - Ma Soeur Jeanne.djvu/35

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nière à ne pas rencontrer ses yeux. Je profitai de ce moment de trêve pour examiner son père.

C’était un homme trapu, d’une carrure athlétique, ayant les cheveux crépus, de beaux traits, la barbe grisonnante, le teint bronzé, et, je dois l’avouer, une expression de ruse et de férocité qui sentait le brigand plus que le contrebandier. Il me fut antipathique jusqu’à la répugnance, et je regardai sa fille, sans trouble cette fois, résolu à la fuir et à l’oublier, si elle lui ressemblait.

Elle ne lui ressemblait pas, elle était pire ; elle avait, à travers sa beauté bien réelle, l’expression d’une naïve impudence. De plus elle était d’une malpropreté insigne.

Guéri de ma passion comme par enchantement, honteux, mais délivré de toute angoisse, j’attendis que mon hôte eût fini sa lecture et me sentis plus que jamais décidé à ne pas me faire connaître.

Il parut content des nouvelles que je lui apportais. Je le vis sourire, compter sur ses doigts à la dérobée, puis mettre la lettre bien au fond de sa poche, comme un objet que l’on ne veut point perdre. Alors il fit un signe à sa fille qui sortit aussitôt, et, se tournant vers moi :

— C’est bien, mon garçon, me dit-il, tu as fait une