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cigare pour les revendre à des industriels non patentés qui en faisaient d’excellentes cigarettes. Ceci est du plus loin que je me souvienne. Je n’étais pas habile dans l’art de gagner ma vie, bien que je fusse assez actif et entreprenant ; mais j’étais désintéressé et comme insouciant du profit. On était séduit par ma jolie figure, et puis on remarquait vite que c’était une bonne figure, et les gens économes abusaient de la découverte pour me payer aussi peu que possible. Voilà du moins ce que disait mon père, quand par hasard il avait le temps de m’observer et de s’occuper de moi.

Insensiblement notre position changea ; nous fûmes mieux logés, mieux nourris, et, un beau jour, on m’envoya à l’école : puis, quand j’eus dix ans, on me mit au collége, et, trois ou quatre ans plus tard, nous menions le train de petits bourgeois aisés, habitués à l’économie, ayant des habitudes modestes, mais ne manquant de rien et ne subissant aucune dépendance pénible.

Un jour, mon père nous dit, — c’était au moment des vacances :

— Enfants, apprêtez-vous à faire un beau voyage. Vous avez bien travaillé, on est content de vous (ma sœur était en pension chez des religieuses), vous méri-