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Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/158

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temps que ma fierté se révolte. Il faut que vous me garantissiez la liberté de conscience ; est-ce trop réclamer de votre équité ? Vous voyez bien que je ne peux pas vous laisser prendre d’engagement vis-à-vis de moi avant que vous m’ayez accordé le point essentiel. »

Je ne pus répondre tout de suite. J’étais tombé dans une sorte d’anéantissement comme si, dans un jour de fête et dans un moment d’ivresse, j’eusse été percé d’une flèche empoisonnée.

« Que me demandez-vous ? lui dis-je enfin. Le divorce avant le mariage, par conséquent le mariage de convention que tout le monde fait et que personne ne respecte ! Ah ! Lucie, si vous ne deviez être pour moi qu’une amie, une sœur, probablement je regarderais comme un devoir de respecter vos croyances et de vous aimer d’autant plus que je vous croirais dans l’erreur à certains égards. Ou je vous plaindrais de mal comprendre Dieu, ou je vous admirerais de pouvoir l’aimer sans le comprendre. Dans tous les cas, je vous considérerais comme un enfant bien cher et bien naïf dont je ne voudrais ni effrayer la débile intelligence, ni contrister le cœur malade. Est-ce ainsi que vous voulez être devant moi ? Serai-je seulement votre père indulgent ou votre frère résigné ? Ah ! vous m’arrachez le cœur de la poitrine, car je suis un homme, et je ne puis supporter un autre homme que moi auprès de vous ! Non, je ne me sens pas capable d’accepter avec tranquillité le divorce que vous me proposez, parce que je ne peux pas vous aimer à demi ! On peut se marier sous le régime de la séparation de biens, mais non sous celui de la séparation des âmes, ou bien alors le mariage est nul devant Dieu !

— Il a raison ! s’écria le vieux Turdy avec une impétuosité que je ne lui avais jamais vue et en se levant avec cette roideur convulsive qui est toujours un peu effrayante chez