Aller au contenu

Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/162

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

le vieux Turdy, qui riait et pleurait en même temps.

— Oui, mon ami, lui dis-je, vous prierez pour nous la grande loi de l’univers ; car, en y pensant bien, vous reconnaîtrez que cette loi est esprit autant que matière. Votre esprit parlera donc pour nous à ce grand esprit qui gouverne les intelligences, puisqu’il régit toutes les forces, et, tout en essayant de prier, il vous arrivera de prier en effet.

— Ah çà ! répondit le vieillard en me tutoyant sans s’en apercevoir, tu pries donc, toi ?

— Oui, à toute heure, à tout instant, par la pensée, par l’admiration, par la tendresse enthousiaste, par le désir brûlant, par la réflexion lucide, par la rêverie vague, par toutes mes facultés, par toutes mes émotions, par toutes mes aspirations, par tous mes instincts, dont le but est l’idéal, Dieu par conséquent, l’amour infini !

— Allons ! reprit le vieux Turdy en s’adressant à Lucie, tu vois bien que c’est un exalté comme toi… Quel diable peut donc vous empêcher de vous entendre ? Mariez-vous, mariez-vous, et, si nous mettons de côté le prêtre, je promets de me convertir ! »

Un billet de M. La Quintinie est arrivé en cet instant. Il avait reçu, disait-il à sa fille, une lettre qui le forçait d’aller tout de suite à Chambéry. Il avait loué une petite voiture au village du Bourget, et, comme il comptait dîner à la ville, il priait qu’on ne l’attendît pas. Il passerait la soirée et la nuit chez mademoiselle de Turdy.

Je ne sais pourquoi cette escapade inattendue du général a inquiété Lucie. Elle s’est informée auprès du militaire qui sert de domestique à M. La Quintinie et qui l’avait accompagné à la chasse. Un exprès avait été rencontré par eux, comme il apportait une lettre au château. Le général, après avoir lu la lettre dont cet homme était porteur, avait poussé jusqu’au village. Là, il avait paru