Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/232

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crains qu’il ne reprenne la fièvre en veillant pour vous écrire. Je l’ai forcé de se coucher, et j’ai promis de vous raconter, avec la précision de détail que vous exigez de lui, tout ce dont j’ai été témoin.

Je déjeunais à Turdy avec mesdames Marsanne et quelques personnes des environs lorsqu’Émile est arrivé avec l’abbé Fervet. Ils ont attendu au salon que l’on fût sorti de table. Émile m’a averti par quelques mots à l’oreille. Je l’ai suivi sur la terrasse avec le général et l’abbé. Le général s’est mis à fumer sa pipe solennellement, attendant que la tranchée fût ouverte. Émile ne bougeait pas. Fermes comme deux rocs, lui et moi, nous voulions que l’abbé fît son office parlementaire. Il y était mal disposé, il paraissait fort embarrassé. Enfin il a rompu la glace en disant au général :

« Vous devez être surpris, monsieur, de voir ici M. Lemontier, malgré le désir que vous aviez manifesté de ne plus lui laisser de vaines espérances. Je n’ai pas cru devoir m’opposer à son intention de recevoir de votre propre bouche la solution du différend qui vous occupe. »

Le général, manifestement contrarié d’être mis en demeure de s’expliquer en personne, a pris un air de hauteur peu supportable. Il a posé à Émile un ultimatum de toutes pièces : abjuration de ses principes, parole d’honneur de ne contrarier en rien les pratiques religieuses et particulièrement le choix du confesseur de sa femme, billet de confession pour lui-même, promesse de se livrer aux mains des convertisseurs, enfin un programme que je n’eusse point accepté pour moi-même, quelque bon marché que je fasse de ces sortes de choses. Émile écoutait froidement. L’abbé était fort agité : il a de l’esprit, il sentait la pauvreté d’élocution du général ; mais, n’en voulant pas démordre lui-même, il le surveillait, la sueur au front.