Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/344

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

que vous appelez la tentation, et dont vous ne pouvez sortir qu’en méprisant, en exorcisant, en maudissant la vie.

« Eh bien, cette déviation de l’instinct qui a tué la mère, et qui vous a laissé de si étranges terreurs à vingt ans de distance, vous auriez encore consenti à ce qu’elle tuât la fille, et, si Lucie n’eût secoué votre influence, elle serait aujourd’hui immolée par vous aux agonies de l’amour mystique dont l’éloquence du père Onorio est, littérairement parlant, un échantillon si frappant et si curieux. Le drame entre Lucie et vous eût suivi un autre canevas qu’entre vous et sa mère. Un nouvel instinct forcé et trahi, l’instinct de votre âge, le meilleur de l’âme humaine quand il suit sa pente logique, l’amour paternel idéalisé à votre guise, eût pesé d’un poids terrible sur le cœur pieux et dévoué de cette jeune fille. Ce poids eût été encore un mensonge, puisque vous ne pouvez pas plus être père que vous n’avez pu être époux. »

Moreali fit un mouvement brusque, et la douleur contracta son front.

« Nous sommes ici pour tout dire, reprit M. Lemontier. J’écouterai la défense de votre opinion tant qu’il vous plaira, et sans plus d’aigreur ou de malveillance que je n’en ai mis à écouter votre récit. À présent, ce récit, je le résume et l’analyse : c’est mon devoir. Vous avez commencé par protester contre tout lien de sang avec Lucie, et vous avez insisté pour que j’en visse la preuve écrite. Et puis, cependant, entraîné par l’instinct non assouvi du cœur et des entrailles, vous avez crié : Ma fille, ô ma fille ! un cri déchirant, monsieur l’abbé, et qui m’a serré la poitrine, car je plains vos douleurs, et, si j’en condamne la cause en principe, j’en respecte la blessure au fond de votre être. Aussi n’est-ce pas sans souffrir que je brise, au nom de Dieu et de la vérité, ce lien fictif