Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/39

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Henri, qui est plus occupé que moi des usages, a demandé assez naïvement au vieillard si les jeunes Savoyardes jouissaient de la liberté qu’on accorde aux demoiselles anglaises.

« Non, pas du tout, a-t-il répondu ; mais ma Lucie n’est plus une petite pensionnaire. Elle n’a pas de mère, sa tante est infirme, et, moi, je suis bien vieux ; je me déplace difficilement. Son père n’est ici que lorsqu’il peut dérober quelques jours à ses fonctions militaires. Lucie a le cœur partagé entre nous trois ; elle ne peut guère suivre le général, qui n’est jamais installé que provisoirement, et qui, étant toujours censé en activité de service, se flatte toujours d’entrer en campagne à la première occasion. C’est un bon père que mon gendre, et il voit que Lucie est plus convenablement et plus heureusement fixée dans la vieille famille sédentaire que dans une ville de garnison. Il a donc bien voulu me faire jusqu’ici le sacrifice de me laisser mon bâton de vieillesse, et je lui en sais un gré extrême. C’est un homme excellent, bien qu’un peu imposant de manières. »

En prononçant ce mot d’imposant, M. de Turdy eut une sorte de mystérieux sourire qui me frappa, mais qui ne m’a pas été expliqué. Il continua de motiver à nos yeux, avec une condescendance qui me frappa aussi, l’espèce de liberté dont jouit sa petite-fille, et c’est alors seulement que j’appris l’âge de Lucie. Je ne le soupçonnais pas : je lui avais donné de seize à dix-sept ans.

« Elle est majeure depuis un an, nous dit-il, et je trouve qu’il serait ridicule de l’astreindre à toutes les minuties de l’étiquette nécessaires aux petites ingénues. Elle est arrivée à la jeunesse complète, entourée de tant d’estime et de respect, que nous croyons juste, sa tante et moi, de lui laisser recueillir un peu le bénéfice de sa raison et de sa piété. »