Page:Sand - Mademoiselle La Quintinie.djvu/69

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qu’il nous a donnés pour aimer notre semblable, et, du moment que nous croyons en lui, nous avons nécessairement pour lui le sentiment qu’il réclame de nous ; mais ce sentiment n’existe pas dans une âme que l’ascétisme dérobe à l’amour humain, car il s’y dénature et devient amour humain lui-même, ce qui est une idolâtrie, un délire et un blasphème.

— J’entends ! vous croyez que sainte Thérèse…

— Était folle et consumée de flammes terrestres auxquelles son imagination malade essayait de donner le change. Je hais ces mensonges de l’âme, comme tout ce qui est contre nature. »

Lucie ne répondit rien, elle marchait dans le jardin et cueillait des fleurs machinalement ; mais ses mains tremblaient, et sa démarche trahissait une grande agitation.

« Mon ami, me dit-elle enfin quand ses deux mains furent pleines, — car nous sommes amis toujours et quand même, n’est-ce pas ? — vous dites des choses qui me bouleversent, et, vous voyez, je ne vous réponds pas. Suis-je vaincue par le raisonnement ou persuadée par un charme mystérieux dont je doive me méfier ? Je ne sais pas ; en vérité, je ne sais pas ! Il faut que j’y pense. Ne désespérez pas et n’ayez pas non plus trop d’orgueil. Il faut que je me prive de vous voir pendant quelques jours, et je vous dirai ensuite si j’ai fait un pas en avant ou en arrière. Je ne veux point être persuadée par surprise. »

Cette résolution, contre laquelle je n’avais pas le droit de protester, me jeta dans une vive inquiétude, et j’eus là le pressentiment de quelque chose de grave. Elle essaya de me rassurer.

« Voyez où nous en sommes, dit-elle ; on presse la situation un peu plus que nous ne le voudrions. On a