Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/103

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vue faire de grandes imprudences. Ce que je sais, c’est que, pour satisfaire sa passion pour la vie de marin, elle s’habille en marinier. La chose étant donnée, elle a raison ; mais je vais vous dire pourquoi je ne crois pas qu’elle soit jolie en femme. Voilà : elle est trop jolie en garçon. Elle a un costume charmant, mon cher, un vrai costume de l’endroit : la blouse étroite et courte avec la ceinture de cuir, la vareuse et les grandes guêtres de laine ; c’est très-décent, et c’est chaud de ton. Le bonnet feutré, d’où s’échappent des cheveux fous, est un bijou sur sa tête. Elle a si bien l’air d’un gars, que je ne me serais jamais douté de son sexe, si on ne m’eût dit : « C’est elle, la voilà. » Or, une femme qui a l’aisance d’un homme et la grâce propre à ses exercices ne doit pas être une femme qui inspire… Mais je ne sais pas pourquoi je vous dis tout ça, qui vous contrarie peut-être, tandis que ça ne m’intéresse pas du tout. La femme, voyez-vous, c’est un bipède dangereux dont je tâcherai de ne jamais embarrasser mon cerveau. Aussi je ne permets pas à mon imagination de s’écarter d’un certain positivisme à ma portée. Ni belles dames ni cocottes. Pas d’autre prestige pour moi que la belle santé, la belle humeur et la franche volonté que l’on rencontre, que l’on accepte sans remords et que l’on quitte sans regret. Sous ce rapport-là, je suis très-philosophe. Je suis laid, la beauté idéale me tournerait le dos ; je suis rude comme un paysan, les jolies manières me mettent en fuite, et puis les femmes n’entendent rien à la peinture. Il n’y en a pas deux avec qui on puisse causer Est-ce que vous n’êtes pas de mon avis ?

Tel fut le résumé de l’impression que Célie avait