Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/121

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

— Vous ne vous êtes pas servi de ce mot-là, répondit-elle en me regardant encore, mais cette fois avec un malaise visible : est-ce au mot vénération que vous vous arrêtez ?

— Supposons ; le repoussez-vous ?

— Oui, je ne le mérite pas.

— Mais si je me persuade que vous le méritez ?

— Il m’honore, mais il me trouble. J’ai horreur de la vanité, c’est l’écueil de la raison, c’est là que tout mérite échoue et disparaît. Ne cherchez pas à me l’inspirer. Ce serait me rendre un mauvais service et me prouver tout le contraire de l’amitié.

— Alors, vous préférez le mot amitié ?

— Il est bien sérieux !

— Il est très-sérieux ; mais, comme je ne vous demande pas de retour, comme je n’ai pas émis la moindre prétention à un sentiment quelconque de vous à moi, j’ai le droit de vous demander de quelle façon vous m’autorisez à vous aimer. Vous allez répondre : « D’aucune façon ? » Prenez garde ! je suis un très-honnête homme, sérieux et sincère. Je ne suis peut-être pas un héros de courage et de dévouement, je n’ai pas eu l’occasion de m’essayer, de me connaître et de faire mes preuves. Je n’ai sauvé la vie de personne, je n’ai affronté aucune tempête. Je ne suis pas non plus un sauvage sublime, mes instincts n’ont pas la puissance qu’ils acquièrent chez les gens simples de mœurs et d’habitudes. J’ai eu le malheur de recevoir une assez bonne éducation, d’apprendre à me servir de ma langue pour exprimer mes idées plus que de mes bras pour tenir une corde, et de mon cerveau pour connaître l’état de mon cœur plus que de mon cœur pour débrouiller les ténèbres de mon cerveau.