Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/14

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que je fusse un homme de plaisir : ma vie, au contraire, avait toujours été sérieuse ; mais j’aimais ce côté de l’indépendance que l’on pourrait appeler l’irresponsabilité. Élevé avec amour par une femme de mérite, et conservé aussi pur que possible, grâce à un milieu intelligent et affectueux, j’avais pris le goût des personnes et des choses d’élite, et je savais combien la véritable distinction est devenue rare. Je voyais très bien que mon entourage était un petit monde exceptionnel, une oasis dans le désert intellectuel du monde d’aujourd’hui, ce monde qui représente non plus du tout un étage social quelconque, mais une foule associée pour partager les mômes plaisirs, sans lien réel entre les individus qui la composent.

J’étais trop jeune — je n’avais encore que vingt-cinq ans — pour me sentir mécontent de la vie et désenchanté de mon époque. L’époque où Ton est jeune est, je crois, toujours belle, et le Paris mêlé, extravagant et charmant que je traversais ne me causait nul ennui. Ma tante se plaignait vivement de l’état fébrile général. Je tâchais de la réconcilier avec les inévitables résultats de nos inévitables révolutions. J’y trouvais mille sujets d’étude, et j’aimais à philosopher avec elle sur l’enchaînement des causes et des effets ; mais, si je portais dans mes jugements la tolérance de mon âge, c’était à la condition de ne pénétrer dans le tourbillon qu’à mes heures et dans la limite de mes goûts. Je voulais bien y passer en amateur, mais non y devenir esclave. Or, on devient indubitablement l’esclave d’une situation donnée, quand, pour s’y pousser ou s’y maintenir, il faut sacrifier sa dignité, ses loisirs ou ses opinions. Pauvre, il faut s’ingénier à faire fortune, car la vie du monde