Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/149

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de la ceinture de Célie. Je m’élançai vers elle, mais elle me montrait les naufragés comme pour me dire : « Il faut périr là ou les sauver. »

Que pouvais-je faire ? Une inspiration me vint. Dans un de ces moments de lutte suprême où tout semblait perdu, j’oubliai tout raisonnement, et, sans me demander si mon poids n’amènerait point infailliblement la rupture du mat fragile, je m’y lançai debout comme un acrobate sur la corde, je pris l’étranger inerte au collet et je le tirai à bord en un clin d’œil. Personne n’avait eu le temps de me retenir. Je n’étais ni bien fort, ni très-habitué à ces violentes gymnastiques. J’avais traité la mer comme l’amour, en obéissant à l’enthousiasme. Le succès justifie tout. À des jurements de blâme et d’effroi qui avaient vaguement frappé mon oreille, j’entendis succéder un hurrah de triomphe et d’admiration ; j’entrevis à travers le torrent de pluie salée que la mer et le rocher crachaient sur nous la figure adorée de Célie, qui se penchait sur moi comme pour m’embrasser en voyant sur mes traits la pâleur de la mort. J’avais avalé, je crois, tout une vague ; j’étais suffoqué, je tombai à ses pieds, où je restai sans connaissance.

Quand je revins à moi, nous étions sortis de la grande houle, nous roulions facilement, la voile était gonflée et nous approchions de la côte avec une vitesse admirable. J’étais couché auprès de mon naufragé, qui semblait mort, et ma tête reposait sur les genoux de Célie, tandis que Célio Guillaume s’occupait en vain de ranimer l’autre en lui entonnant de l’eau-de-vie. Avais-je sauvé un cadavre ? C’eût été jouer de malheur après un si beau début.

Je promenais autour de moi les regards étonnés