Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/186

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aucun droit ; Célie ne te devait aucune confidence. Il ne faut pas se conduire en mari jaloux quand on n’a pas même été le fiancé autorisé.

Ma tante avait raison. L’amertume de mon cœur était injuste. Je feignis de l’abjurer, et, la voyant inquiète de l’effet de ses révélations, je lui parlai de mon chagrin avec une douceur résignée. Elle me crut en bonne voie de guérison et me conseilla de faire un petit voyage pour me distraire. Je lui répondis que j’y songerais, et nous nous quittâmes mornes et abattus comme des gens qui viennent d’ensevelir un mort.

J’aurais voulu m’élancer dans la campagne, m’égarer dans la solitude des forêts, ou errer sur quelque grève déserte. J’avais la tête en feu, la bouche amère et bilieuse, le cœur comme écrasé et glacé dans ma poitrine ; mais ma tante avait le sommeil léger, je savais d’ailleurs qu’elle ne dormirait pas avant d’avoir interrogé tous les bruits du dedans et du dehors, prête à s’alarmer, si elle m’entendait sortir. Je remontai lentement à ma chambre, je n’osai même pas ouvrir ma fenêtre, et je me couchai. Je restai immobile, assis sur mon lit jusqu’au jour. Je ne crois pas que martyr étendu sur un gril ardent ait souffert un pire supplice. J’étais sur les charbons embrasés de la colère, de la honte et du désespoir. Je voyais, comme une image à jamais fixée dans ma pensée, Célie aux bras de ce misérable. Je voulais le tuer ; il riait et s’effaçait avec elle dans les nuages de l’odieux passé pour reparaître aussitôt, arrogant et cynique. Il me montrait sa mâchoire brisée et mon idole souillée par ses baisers sanglants. Je levais les bras pour le lapider, et je restais ainsi inerte et comme cataleptique