Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

enfoncé dans mon cœur, le chagrin d’avoir affligé M. de Montroger envers qui j’étais si reconnaissante, ce mélange de révolte et de crainte, de repentir et d’orgueil, de tendresse froissée et d’épouvante insurmontable, avaient fait de moi un être nerveux et ombrageux dont la pensée s’était souvent réfugiée dans l’appel au suicide. Le jour où l’amiral, privé de mémoire et de raison, m’avait témoigné de l’aversion, j’avais couru à la falaise, et, sans Bellac, qui m’avait devinée et suivie, je me serais précipitée dans la mer. Ce jour-là, le digne homme avait assumé sur lui les devoirs d’un père, et il les remplit désormais selon les lumières de sa conscience. Elle ne le trompèrent peut-être pas, puisqu’il me procura le calme, la santé et l’égalité d’âme. Il me fit, je vous assure, un cerveau tout neuf, à l’épreuve des petites misères de la vie, de l’injustice des uns et de l’engouement des autres. Il m’apprit à m’estimer ce que je valais, ni moins ni plus, et, quand le besoin des études sédentaires se fit sentir, il me ramena, paisible et réconciliée avec le passé, dans cette maison paternelle où j’avais failli perdre la raison et la vie.

» Depuis ce moment, mon existence a été dominée par la soif de m’instruire, et c’est là une passion que vous ne connaissez pas autant que moi, vous qui, à beaucoup d’égards, êtes probablement plus instruit que moi. Il faut que je m’explique, vous allez me comprendre.

» Un jeune homme studieux, dans une position libre et convenablement aisée, n’a d’autre affaire que de s’instruire. S’il a vraiment une grande ardeur jointe à une réelle capacité, il assouvit sa soif, et tout l’y encourage. Il n’en est pas ainsi d’une femme, à qui