Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/213

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de sang-froid et rentré en lui-même il est très-effrayé de la pauvreté et incapable de vivre de travail ou d’expédients. Je pensai, en le voyant se ranger, qu’il se remettrait vite dans le courant du convenu par la grande sanction du mariage d’argent. J’attendais chaque jour qu’il me fît part de quelque projet de ce genre, tout en venant me demander comiquement le pardon de son infidélité. Il y vint, mais avec un peu de ruse, pour voir si j’en aurais du dépit, et il en eut lui, quand il me trouva charmée de sa guérison. Il joua ce jeu puéril assez souvent pour m’impatienter, et il le joue encore, car dix ans se sont écoulés sur ces alternatives de velléités et de déceptions. J’ai eu de la patience, mais l’heure de ma liberté n’est pas venue et Dieu sait si elle viendra jamais ! Pour accepter une affection digne de moi, il faut que je me prépare à je ne sais quel cataclysme. Voilà dans quelle situation vous trouvez votre marraine, Célio ! Aviez-vous prévu cela ? Non ; vous aviez fait sur son passé beaucoup d’hypothèses étranges, vous consentiez à être le père de son fils, le vengeur de son outrage, le sauveur de sa réputation perdue, l’appui de sa vieillesse abandonnée, toutes choses dramatiques, héroïques et dignes d’une grande âme très-exaltée : vous n’aviez pas voulu vous rendre à la réalité que l’on vous avait racontée, vous ne vouliez pas la comprendre, vous n’admettiez pas des obstacles si vulgaires, un roman si ingénu, des empêchements si légers. Eh bien, ils sont infiniment sérieux, ces empêchements. Ce n’est pas une forteresse à briser à coups de canon, c’est un flot qui monte sans gronder depuis quinze ans, c’est une tyrannie muette, douce en apparence, mais impassible comme un fait brutal : l’obstination d’une vanité hu-