Page:Sand - Mademoiselle Merquem.djvu/231

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aucun rapport à aucune personne que j’aie rencontrée. Il m’étonne. Il sait dire tout ce qu’il faut pour qu’on le prenne en grande estime et en sérieuse considération. Il pense ce qu’il dit, je n’en doute pas, puisque vous l’affirmez, mais est-il capable de le réaliser ? Permettez-moi d’hésiter un peu à le croire. Les hommes susceptibles de grands dévouements ou de grands actes d’indépendance ne connaissent pas si bien leurs forces. Quand ils en ont besoin, ils les trouvent sans trop savoir d’où elles leur viennent. Le très-grand développement de la théorie en fait d’idéal me fait l’effet du travail consacré à la confection d’un mets exquis. En s’y appliquant, on y goûte, et, quand il a acquis le degré de perfection nécessaire, l’appétit est émoussé ; on le mange sans plaisir ou on ne le mange pas. Vous direz que je me trompe : quand même il serait le phénix annoncé, laissez-moi vous dire encore que votre rêve ne me fera pas rêver. Pour recouvrer ma liberté, il me faudrait soulever des montagnes, et la passion seule entreprend ces prodiges. Je n’ai pas en moi la grandeur voulue. Je suis douce par tempérament, par conséquent un peu lâche. Je ne me suis jamais sentie capable de faire souffrir quelqu’un, même pour son bien. Qui ne sait pas condamner ne sait peut-être pas récompenser. C’est un peu mon histoire. J’ai trop regardé la nature, où il n’y a ni bien ni mal absolus. Dieu étant donné pour moi comme l’être qui renouvelle tout et n’anéantit rien, mon instinct n’est pas de haïr et de condamner certains êtres pour en exalter et en adorer certains autres. J’aime d’une manière infinie, c’est-à-dire sans emportement et sans besoin de domination. Je ne pourrais pas absorber une âme, je craindrais de